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Le président Macky Sall (à gauche) et le chancelier allemand Olaf Scholz (à droite) inaugurent une centrale photovoltaïque lors de la visite du chancelier au Sénégal en 2022.

Le président Macky Sall (à gauche) et le chancelier allemand Olaf Scholz (à droite) inaugurent une centrale photovoltaïque lors de la visite du chancelier au Sénégal en 2022.

« L’Afrique a beaucoup de respect pour l’Allemagne, mais il faut préserver cela. »

Blog Joint Futures 39, 23.01.2024

Dans notre entretien, l’Ambassadeur Sall aborde l’opinion publique, la migration, l’énergie et l'avenir de la coopération germano-africaine. Il souligne les mesures positives prises par le gouvernement allemand, tout en incitant Berlin à renforcer la coopération dans l’intérêt mutuel.

 

Megatrends Afrika (MTA) : Monsieur Sall, selon vous, le regard allemand sur l’Afrique a-t-il évolué pendant les cinq années que vous avez passées ici, et comment percevez-vous le débat allemand sur l’Afrique en général ?

S.E. Cheikh Tidiane Sall (CTS) : On peut, en effet, parler d’une certaine évolution au cours des dix dernières années. Je pense que cela a été plus visible d’abord avec Angela Merkel, notamment avec le lancement du « Compact with Africa » (CwA) du G20 en 2017. Auparavant, l’Afrique n’était pas vraiment dans les super-priorités du gouvernement allemand du moins pas au niveau de la chancellerie fédérale.

On constate donc une évolution positive de la part du gouvernement allemand, et cela s’est traduit aussi par des visites de haut niveau dans certains pays africains. Je peux citer, en ce qui concerne le Sénégal, la visite du président Frank-Walter Steinmeier en février 2022. Trois mois après, on a accueilli le chancelier fédéral Olaf Scholz, sans oublier la visite de son prédécesseur en août 2018. Pour moi, c’est un très bon indicateur de l’intérêt croissant de l’Allemagne vis-à-vis de l’Afrique.

MTA : Est-ce que vous faites le même constat par rapport au débat public ou au regard des médias ?

CTS : Malheureusement, on constate une évolution très lente. Jusqu’à aujourd’hui, dans le débat public en Allemagne, les clichés prédominent : l’Afrique, c’est le continent des problèmes, l’immigration, la guerre, la faim etc. Je serais ravi de voir une évolution positive de l’opinion et des médias allemands, qui reflète la réalité des pays africains. L’Afrique c’est cinquante-quatre pays. C’est un continent très, très vaste. Il y a des évolutions et des situations différentes d’un pays à l’autre.

Je vois que l’opinion publique allemande n’est presque pas au courant de ce qui se passe sur le plan économique depuis quelques années. Par exemple, ces dernières années, les pays qui ont les meilleurs taux de croissance dans le monde se trouvent en Afrique. Le Sénégal a enregistré un taux de croissance moyen de plus de 5 % depuis 2014. Alors qu’ici, en Europe et même en Allemagne, on connait des taux qui ne sont pas loin de zéro, voire négatifs. J’ai cité l’exemple du Sénégal, mais il y a d’autres pays qui ont mis en place des réformes et où on observe une croissance économique, même s’ils restent encore dans la catégorie des pays en développement. Le regard de l’opinion sur le continent africain doit encore évoluer.

L’un des moyens d’y parvenir est de multiplier les déplacements et les visites officielles de haut niveau. La visite du chancelier fédéral au Sénégal y a attiré l’attention du public et surtout des milieux d’affaires. Ces visites permettront de nouer beaucoup plus de contacts, de développer des échanges culturels, des échanges économiques dans le secteur privé et entre gouvernements. Je pense qu’il y a un travail à faire des deux côtés pour que l’opinion publique puisse vraiment abandonner les idées reçues qui datent d’il y a vingt ou trente ans. Parfois il est plus facile pour l’opinion de s’accrocher à des clichés que d’essayer de comprendre ce qui se passe réellement dans nos pays. Et les médias ont un rôle central à jouer pour faire évoluer les mentalités et mieux appréhender les dynamiques très positives en œuvre sur le continent africain.

MTA : Quand on regarde l’Afrique de l’Ouest, quels sont les évolutions qui ne sont pas suffisamment prises en compte en Allemagne et en Europe ? A quoi l’Allemagne devrait-elle prêter davantage attention ?

CTS : Aujourd’hui en Afrique de l’ouest, on a une jeune génération assez bien formée et surtout bien informée. Nous avons une démocratie d’opinion fait que même nos propres gouvernants ne peuvent plus se comporter comme naguère, parce qu’on a une société civile très forte et une jeunesse engagée. C’est aussi le cas au Sénégal. J’ai même l’impression que notre jeunesse est plus politisée que la jeunesse allemande et elle est extrêmement exigeante. Nos gouvernements ne peuvent plus l’ignorer. Nous avons une population extrêmement jeune : 75 % a moins de 35 ans. C’est pour cette raison que le processus de prise de décision a évolué dans nos pays. Quand on parle de migration, par exemple, il faut être beaucoup plus attentif, parce qu’on a une opinion publique qui surveille toute action.

Un autre exemple : peu après l’invasion de l’Ukraine, certains Sénégalais ont clairement indiqué que « ce n’est pas notre guerre », que le gouvernement ne devrait pas s’engager, qu’il devait garder sa neutralité. Nous sommes une démocratie, une démocratie d’opinion. Nos présidents sont élus tous les cinq ans et ils tiennent compte de l’opinion. Comme le font les dirigeants ici en Allemagne.

MTA : Un sujet épineux entre l’Europe et l’Afrique est la politique migratoire. On peut évoquer la volonté européenne de renforcer les contrôles, de prévenir des migrations clandestines, de refouler des citoyens de pays comme le Sénégal. Quelles propositions, quelles solutions permettraient, à votre avis, de surmonter les divergences ?

CTS : Le débat sur la migration en Europe doit être plus rationnel. Je trouve qu’il y a trop de passions dans ce débat. En 2021, l’Institut Montaigne avait publié une étude intéressante dont la conclusion était qu’une très petite minorité des migrants africains arrivent en Europe. La plupart des migrants africains restent donc sur le continent. Beaucoup de Sénégalais vont au Gabon, en Gambie et en Côte d’Ivoire tandis que d’autres essayent d’aller aux États-Unis d’Amérique ou encore vont dans certains pays du Golfe. En définitive, c’est vraiment une infime minorité qui arrive ici en Europe. Je pense qu’au niveau de l’opinion publique européenne, il y a un travail à faire pour déconstruire cette idée que les Africains vont vous envahir. Concernant ceux qui restent, il faudrait qu’on puisse leur donner la chance de pouvoir réussir chez eux, d’où la pertinence du projet sénégalo-allemand qui s’appelle : « Réussir au Sénégal ». Ce projet est d’autant plus important que nous savons justement qu’il n’est pas donné à tout le monde de réussir en Europe.

L’autre chose à laquelle il faut réfléchir concerne les conditions de régularisation en Allemagne. Certains doivent attendre cinq ou dix ans avant d’être régularisés, même s’ils parlent bien la langue, ont fait une formation dans des métiers en manque de main d’œuvre. Le président Macky Sall a été très clair sur ce point : ceux qui, vraiment, ne peuvent pas être régularisés en Allemagne, seront repris chez nous sans problème. Mais cette politique migratoire doit avoir deux piliers : régularisation de ceux qui remplissent les critères et retour, dans des conditions de dignité, de ceux qui veulent ou doivent rentrer au Sénégal.

MTA : Un autre sujet d’actualité est l’énergie, un secteur qui représente une priorité pour la coopération entre l’Allemagne et le Sénégal. Depuis une dizaine d’années déjà, la coopération germano-sénégalaise vise à soutenir une transition vers les énergies renouvelables. Plus récemment, le gouvernement fédéral allemand a exprimé un intérêt pour l’importation de gaz sénégalais, dont l’exploitation devrait commencer en 2024. Comment est-ce compatible avec vos propres objectifs d’approvisionnement énergétique ?

CTS : Il n’y a pas de contradiction avec nos objectifs. Jusqu’ici nous avons encore des centrales au fioul lourd, qui sont beaucoup plus polluants pour l’environnement. L’objectif du gouvernement sénégalais est de remplacer ces centrales car nous voulons que le gaz soit considéré comme une énergie de transition. Le Sénégal a déjà beaucoup investi dans les énergies renouvelables, avec des parcs photovoltaïques, éoliens, mais cela ne suffira pas dans le cadre de notre politique d’industrialisation. Dans notre objectif de créer une industrie compétitive, l’accès à l’électricité ainsi que des prix abordables demeurent des défis à relever. D’ailleurs, je vois que le même débat du prix de l’énergie se pose maintenant en Allemagne : Faut-il que l’industrie et les entreprises bénéficient d’un prix avantageux et spécifique ? Pour notre gouvernement, pour être compétitif, il faut vraiment qu’on puisse disposer de l’électricité en permanence et à un prix abordable.

D’ici 2030, nous augmenterons la part des énergies renouvelables dans notre mix énergétique de 31 % à 40 %. C’est prévu dans le cadre du Just Energy Transition Partnership (JETP) que le Sénégal a signé avec les partenaires du G7 en juin 2023. Il y a des financements qui sont promis par les bailleurs. En même temps, le Sénégal ne souhaite pas que ces financements promis viennent alourdir la dette. C’est pour cela que nous favorisons les dons et les crédits concessionnels. L’idée est que nos pays ne doivent pas s’endetter plus pour respecter l’accord de Paris sur le climat.

Il se pose donc la question du financement de la transition énergétique. En effet, le risque sur les investissements en Afrique est exagérément élevé par les agences de notation, ce qui pèse sur les possibilités de financement européen, si on le compare avec d’autres provenant de certains pays asiatiques qui se font à des taux concessionnels et sur des durées de remboursement plus longues. C’est ainsi que l’électricité produite par des centrales hydroélectriques financés par les fonds européens pourrait être plus chère que celle produite à partir d’autres sources d’énergie sur la base des financements d’autres pays. Les gouvernements africains et le gouvernement allemand doivent donc travailler à faire modifier ces règles. Autrement les financements occidentaux ne seront pas compétitifs.

MTA : Cela nous amène à la dernière question : Qu’attendez -vous, à l’avenir, de la politique de l’Allemagne dans la région ? Comment devrait-elle évoluer pour que l’Allemagne soit un partenaire fort et surtout crédible ?

CTS : L’Allemagne a une très bonne réputation en ce qui concerne la qualité de ses produits. Les Allemands sont considérés comme rigoureux et sérieux. Ce capital-là doit être mise à profit par l’Allemagne qui doit être une locomotive de la politique africaine de l’Europe.

Le président Macky Sall a l’habitude de dire : nous voulons « trade, not aid » [« du commerce, pas de l’aide »]. Il parle de partenariat. Nous pouvons tous être gagnants. C’est possible. Dans quelques années, l’Afrique sera le plus grand marché du monde. La classe moyenne s’y développe. À mon sens, il ne s’agit plus pour nos partenaires allemands d’attendre, mais de monter maintenant dans ce train qui démarre pour obtenir une place pendant qu’il est encore temps. Il s’agit de coopérer, de coopérer ensemble, comme vous dites : « auf Augenhöhe » [« d'égal à égal »]. Je taquine souvent mes amis allemands en disant qu’ils ont l’habitude d’affirmer « Das ist so » [« C'est comme ça »], ce qui les enferme dans des options qui peuvent empêcher des compromis. Moi je dis « Nein, das ist nicht so » [« Non, ce n'est pas comme ça »] car vous ne savez pas exactement ce qui se passe dans nos pays. Il s’agit d’écouter, de s’écouter et de se respecter.

Certes, il y a des problèmes, mais l’Afrique de l’Ouest ne se résume pas à quelques pays en proie à des changements inconstitutionnels ou frappés par le terrorisme. Et qui aurait pensé qu’en 2022 il y aurait une autre guerre en Europe ? Personne ! Aucun pays n’est à l’abri. Donc, il faudrait soutenir les pays et les régimes démocratiques dans nos pays parce que les démocraties sont menacées partout, même ici en Allemagne. L’année dernière il y a eu une attaque contre le Bundestag. Le 6 janvier 2021, on a vu ce qui s’est passé au congrès américain. Les pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont besoin d’être soutenus, au risque de faire triompher des forces anti-démocratiques. Globalement, l’Allemagne est sur la bonne voie, mais il faut aller plus vite. Pour ce faire, les autorités allemandes peuvent multiplier les rencontres, en invitant les dirigeants africains à effectuer des visites officielles en Allemagne et en se rendant dans nos pays pour mieux s’imprégner des réalités sur place. Les parlementaires doivent également faire beaucoup plus d’efforts pour aller vers les décideurs et les ambassadeurs accrédités à berlin, et surtout leur prêter une oreille très attentive. L’Afrique a beaucoup de respect pour l’Allemagne, mais il faut préserver cela.